En France, il existe plus de 6 millions de passoires thermiques. Ces logements classés G au Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) sont interdits à la vente comme à la location depuis janvier 2025. En conséquence, le marché du diagnostic immobilier évolue et représente désormais 1,5 milliard d’euros avec 8600 entreprises et 11 500 diagnostiqueurs en pratique. Les évolutions légales et cette croissance du marché s’accompagne de son lot de dérives.

Les passoires thermiques en France

Une passoire thermique, ou « passoire énergétique » est un terme qui permet de désigner un logement particulièrement énergivore. Il s’agit d’un logement avec un mauvais DPE, classé F, G, ou G+. Pour cette dernière note, la plus énergivore, cela équivaut à une consommation de plus de 450kWh/m² par an, largement au-dessus de la normale.

En France, les passoires thermiques sont généralement d’anciens bâtiments construits avant 1975. À cette époque, l’isolation était peu développée et non encadrée par la réglementation. La première loi sur les économies d’énergie n’a été adoptée qu’en 1978, quelques années à peine après que les premières normes en matière d’isolation ont eu été introduites.

En février 2022, l’ONPE révélait que 10,5% des Français dépensaient plus de 8% de leurs revenus dans leurs factures énergétiques.

Rappel DPE

Le DPE permet à la fois de quantifier la consommation énergétique estimée et les émissions de gaz à effet de serre d’une habitation. C’est un bilan énergétique d’un logement qui va permettre de savoir à quel point il est énergivore et quelles sont les raisons qui expliquent sa consommation. Il coûte entre 150 et 250€ et est valable pour une durée de 10 ans.
Jusqu’en 2021, c’est la facture d’énergie qui définissait le DPE. Désormais, les diagnostiqueurs doivent contrôler les caractéristiques physiques du bien.

D’après le ministère de la Transition écologique, « Le diagnostic de performance énergétique (DPE) s’inscrit dans le cadre de la politique énergétique définie au niveau européen afin de réduire la consommation d’énergie des bâtiments et de limiter les émissions de gaz à effet de serre et sert notamment à identifier les passoires énergétiques (étiquettes F et G du DPE, c’est-à-dire les logements qui consomment le plus d’énergie et/ou émettent le plus de gaz à effet de serre) ».

Le DPE et la loi

Le DPE est central dans la politique de transition énergétique du gouvernement qui le présente comme un marqueur fiable.
En 2021, Emmanuel Macron avait annoncé son objectif d’éradiquer les 4,8 millions de passoires thermiques françaises comme une promesse de campagne. La loi Climat et Résilience de 2021 vient alors imposer aux bailleurs de proposer un logement décent, c’est-à-dire consommant moins de 450kWh/m2/an.

Le DPE devient alors obligatoire pour la vente ou la location d’un bien, encadré par des règles et un calendrier précis. L’objectif de ces démarches étant de limiter les émissions de gaz à effet de serre en incitant les propriétaires à rénover leurs logements particulièrement énergivores.

Une fraude massive sur le marché du diagnostic immobilier

Or, depuis le 1er janvier 2025 l’interdiction des logements classés G, la fiabilité du DPE qui était déjà questionnée auparavant l’est davantage maintenant.

En effet, des travaux de rénovation énergétique sont obligatoires pour les propriétaires qui souhaitent louer ou vendre leurs biens qui n’atteignent pas une notation minimum.
Les interdictions des logements classés F (en 2028) et E (en 2034) arrivent également à grand pas. Ainsi, pour éviter les travaux actuellement et dans les 9 années à venir, certains propriétaires choisissent de tricher sur leur DPE.
Ces contournements passent par des « astuces » des diagnostiqueurs qui consistent à modifier la surface du bien évalué ou encore le matériau des parois.

Avec les nouvelles obligations légales, le marché du diagnostic immobilier est devenu très convoité, ce qui cause un grand nombre de dérives, originaires des diagnostiqueurs, des agents immobiliers ou des propriétaires.

D’après une étude du Conseil d’Analyse Économique, 1,7% des DPE réalisés depuis 2021 ont été manipulés. Dans un Complément d’Enquête de France 2 diffusé le 20 mars dernier, Ruben Arnold, ancien diagnostique et DG de KRNO (start up qui procèdes à la vérification de DPE lors de suspicions de fraude), qualifie ce chiffre d’erroné et estime que 650 000 logements échappent à ce recensement, ce qui élèverait ce chiffre à 3,7%.

Parmi les diagnostiqueurs, certains respectent la loi, d’autres sont plus conciliants. Comment est-il possible de contourner la loi alors que le DPE se réalise sur un logiciel gouvernemental ?

Pour réaliser un DPE, les diagnostiqueurs utilisent un télémètre laser pour mesurer la surface du logement, leurs propres constatations, ainsi que les déclarations du propriétaire. Toutes leurs observations et données doivent être rentrées dans un logiciel agréé par l’État qui va ensuite attribuer une lettre au logement.
La multitude des critères d’entrée rend le DPE facile à compromettre car le diagnostiqueur peut procéder à des combinaisons qui vont influencer la note finale, par de simples modifications des données réelles qui passent inaperçues.

Le DPE de complaisance, une entrave à la transition écologique

Le DPE de complaisance comporte des informations inexactes qui vont permettre au logement d’obtenir une meilleure note et « d’échapper » aux travaux de rénovation énergétique. Le diagnostic de ces logements particulièrement énergivores à cause d’une mauvaise isolation ou d’une consommation de chauffage exagérée est alors erroné.
Cette pratique porte malheureusement atteinte à la crédibilité et la fiabilité du système.

Selon une étude récente de KRNO, spécialiste dans la fiabilisation de ce diagnostic, la falsification du DPE est plutôt courante. Après avoir analysé les données de 8 millions de DPE, l’étude révèle que 1,3 million de logements seraient concernés :

  • 19 % des biens classés F passent artificiellement à la lettre E
  • 6 % des biens initialement classés G deviennent F
  • 5,6 % des E sont surclassés en D

Le numéro Ademe DPE

Le numéro Ademe DPE est un identifiant unique à 13 chiffres attribué à chaque Diagnostic de Performance Énergétique qui permet de vérifier que votre DPE est bien authentique et valide. Sans ce numéro qui est censé se trouver sur votre DPE, ce dernier n’est donc pas valable.
Vous pouvez vérifier l’authenticité de votre DPE avec le numéro Ademe DPE directement sur le site de l’Observatoire DPE de l’Ademe : https://observatoire-dpe.ademe.fr/accueil

Une volonté de falsification multipartites

L’origine de cette falsification peut venir à la fois du diagnostiqueur qui souhaite être conciliant et rendre service, ou du propriétaire qui va exercer une certaine pression pour pouvoir vendre ou louer son bien sans passer par les travaux.

Lorsque le DPE est terminé et la note délivrée, le diagnostiqueur remet une attestation sur l’honneur au propriétaire. Pourtant, en cas de plainte du locataire et de révélation de fraude, il ne sera pas le seul mis en cause car le notaire, le propriétaire et l’agent immobilier seront également tenus pour responsables.

Ces comportements entachent l’image de la profession du diagnostiqueur qui est censé être neutre dans ce processus. Ils expliquent aussi la défiance envers les DPE et portent préjudice aux locataires car vivent dans de mauvaises conditions et sont contraints de payer des factures d’énergies astronomiques. Dans le cas d’un achat après un DPE faussé, l’acheteur se retrouve non seulement à acheter un bien surévalué, mais aussi à devoir réaliser des travaux de réhabilitation.

Comment savoir que vous vivez dans une passoire thermique ?

  • Vos factures d’énergie sont trop élevées
  • Vous ne ressentez pas de confort dans votre logement
  • Vous sentez fréquemment des courants d’air

Si vous vivez dans ces conditions, des travaux de rénovation énergétique sont nécessaires dans votre logement.

Les points de vigilance

Le secteur du diagnostic immobilier a été épinglé en 2023 par la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF). D’après l’institution, le taux d’établissements en anomalie sur 500 contrôles s’élève à 69%.

Prise d’attention particulière :

  • Aux entreprises sur internet qui jouent sur la rapidité et les prix cassés. Le rapport de la DGCCRF mentionne des « clauses abusives ou illicites » ou encore des « pratiques commerciales trompeuses »
  • Aux faux diagnostiqueurs, à ceux qui ne sont pas certifiés ou à ceux qui usurpent l’identité des vrais (consultez les registres en ligne)
  • Aux modes de paiement

Nos recommandations :

  • Rendez-vous sur le site l’Observatoire DPE pour vérifier que le diagnostiqueur est certifié et qu’il n’est pas en interdiction de pratiquer.
  • En cas de suspicion, faites vérifier votre DPE.

Les actions du gouvernement dans cette lutte

En 2024, 229 millions d’euros de fraude ont été évités par les mesures anti-fraude du ministère du Logement.

Pour lutter contre les mauvaises pratiques, Valérie Létard, ministre chargée du Logement a présenté 10 mesures :

Renforcement des contrôles :

  • Mise en place d’une authentification systématique des DPE via un QR code (validité et traçabilité).
  • Augmentation du nombre d’audits sur les diagnostiqueurs.
  • Suspension des certifications en cas de fraude avérée (allant jusqu’à 2 ans).
  • Établissement d’une liste noire des acteurs peu scrupuleux.

Prévention des fraudes :

  • Mission parlementaire sur la création d’un ordre des diagnostiqueurs.
  • Encadrement renforcé des pratiques professionnelles.
  • Sanctions renforcées pour les fraudes identifiées.

Amélioration de la formation et de l’information :

  • Mise en place d’une formation initiale post-bac obligatoire pour les diagnostiqueurs.
  • Amélioration des formations continues pour garantir un haut niveau d’expertise.
  • Renforcement de l’information à destination des usagers pour mieux comprendre et utiliser le DPE.

Les travaux de rénovation énergétique et leurs aides financières

Les propriétaires des logements classés F ou G sont automatiquement dirigés vers une rénovation globale, avec un plan accompagné.
Le DPE est obligatoire pour prétendre aux aides destinées aux travaux de rénovation énergétique, dont la plus connue qui est MaPrimeRénov’. Ces aides sont principalement destinées aux résidences principales de plus de 15 ans, occupées au moins 8 mois par an. À noter que pour bénéficier des aides publiques, il est également important de passer par un professionnel Reconnu Garant de l’Environnement (RGE).
Enfin, le matériel éligible aux aides doit répondre à des critères stricts pour garantir des économies d’énergie significatives et durables.